25 avril 2024

Le consentement

C'est un film que j’avais initialement prévu de ne pas voir :  le livre était si édifiant que j’imaginais mal comment des images pouvaient être posées dessus.

Mais, intriguée par l'emballement adolescent Tiktok, découvert lors d'une récente interview de JP Rouve  (lui même surpris de cette ampleur), je reserve ma place pour samedi 18h; il pleut dehors, la salle est comble. Des gens jeunes (pour mon cinéma et ma ville c’est assez hors du commun pour être souligné..)

Bilan : 2 h difficile à supporter. Deux heures pénibles qui m’ont confirmé qu'il fallait effectivement s'abstenir de ces images. 

Si l'amour de Vanessa pour Mazneff et la manipulation dans le livre sont criants, à l’écran rien de tel. On y voit une fillette tombé du nid, mi-apeurée, mi-rebelle mais pas séduite et manipulée comme on peut le comprendre dans le livre. Car c'est là le modus operandi de ce pédocriminel, parler, séduire, enserrer ses proies dans ses serres d'homme de lettres. Réussir par les mots à faire passer l’inacceptable pour de l'amour, de la passion sans limite d'âge. 

Même l’époque n'est pas si bien transcrite, la complaisance de la bourgeoisie parisienne des années 80, la liberté sexuelle revendiquée par certains,  le fameux « il est interdit d'interdit de l'époque »...tout est tellement  plus prégnant dans les pages du livre. 

Quant aux acteurs et personnages, je suis mitigée. Rouve est irréprochable: dérangeant à souhait. En revanche, j’espérais un peu plus de Laetitia Casta, en mère alcoolique, égoïste et séductrice. J’ai trouvé qu’elle ne nous donnait pas les clefs pour comprendre l’énigmatique attitude de cette femme que j'avais tant questionné lors de la lecture. Comment peut elle laisser sa fille dans les pattes de cet homme ? On aimerait que la cineaste laisse entrevoir cela. Rien de tel...

Enfin, à aucun moment le film ne laisse la possibilité au spectateur de ressentir. Se mettre dans la peau de Vanessa, voir de sa hauteur, de son innocence. 

J'en suis sortie très mal à l'aise.

Comme quoi la littérature fait souvent mieux que le cinema pour raconter l'indicible. 

Dans les brumes de Capellans

Coïncidence extraordinaire ou véritable présage, j'ai attaqué ce polar alors que j'étais en plein navigation entre l'île aux ours et les terres norvégiennes, entre deux aurores boréales et des morceaux de banquise. Manquait la brume épaisse et on était  parfaitement dans le thème!

Pour resituer le contexte, dans le final de Surtensions, Coste (totalement anéanti par la perte d'un membre de son équipe) décide de rendre sa carte, quitter la police judiciaire, plaquant collègues et amours... pour s'isoler au bout du monde, Saint Pierre et Miquelon. 

Notre flic adoré fait désormais partie du programme de protection des témoins. A des milliers de kilomètres de Paris, sa mission est d'héberger des criminels repentis, et les faire causer.  Dans villa ultra sécurisée nichée en haut de la falaise, comme dans le cœur de Coste, on ne pénètre pas/plus. Vitres blindés, caméras de surveillance, alarmes à chaque mouvements extérieurs, pas de visite, pas d'émotions. Seuls ses voisins, Mercredi et son grand-père Armand Bisset (ancien flic) partagent quelques instants d'intimité avec lui.

19 janvier 2024

Pilules Roses, De l’ignorance en médecine » (Stock, 2023) de Juliette Ferry-Danini


Le SPASFON (phloroglucinol), vous connaissez bien sûr ! Qui n’a pas reçu, au cours de sa vie ce comprimé rose fuchsia, dragéifié façon bonbon, dont le nom à lui seul semble vous soulager du « spasme ». Il y a aussi la version lyoc pour les semi-urgences (« un pic plasmatique atteint en 15-20 minutes » nous informe la monographie) et une version injectable, « à administrer au moment de la crise ». Quant au suppositoire (on reconnait bien là un médicament français) quelle ne fut pas ma surprise en me plongeant dans la monographie (dont l’intégralité tient sur une page) de constater l’absence de rubrique « pharmacocinétique ».

Mais alors que sait-on sur ce médicament dont il s’est vendu en 2021 pas moins de 25 millions de boites (princeps et génériques), principalement à des femmes (près de 70 % des prescriptions) pour des douleurs de règles. Quel est son mécanisme d’action ? Quelles sont les données scientifiques disponibles pour justifier d’une telle utilisation ? 

C’est à ces question qu’a souhaité répondre Juliette Ferry-Danini spécialisée en philosophie de la médecine au travers d’une rigoureuse enquête scientifique, publiée dans un livre largement relayé sur les réseaux sociaux et dans les médias et intitulé « Pilules Roses, De l’ignorance en médecine ». 

Le livre qui se présente comme une enquête épistémologique et éthique rondement menée se lit d’une traite. En retournant aux origines du médicament, dans les années 1960 (à l’époque des visa, ancêtres de nos actuelles AMM), il apporte dans sa première partie des éléments historiques et économiques précieux pour comprendre la place occupée par le phloroglucinol sur le marché français. Tout commence dans les années 50 quand le laboratoire Lafon, créé par le pharmacien français Louis Lafon développe un médicament nommé VITBIL destiné à calmer les douleurs d’origine biliaire (typiquement féminines), à base d’aubier du tilleul. Quelques années plus tard, un chercheur du laboratoire découvre le phloroglucinol, principe actif de SPASFON, dans l’écorce de cet arbre. Et c’est en 1964 qu’est commercialisé SPASFON, qui devint rapidement le produit de référence parmi les antispasmodiques. 

En outre, l'autrice fournit des repères indispensables pour expliquer ce qu’est ou doit être la recherche scientifique, « essais cliniques randomisés, « evidence base medecine » mais aussi des notions d’éthique au travers de l’équipoise clinique*. A ce jeu-là, le phloroglucinol ne fait pas le poids. Les données des essais cliniques sont quasi inexistantes : cinq essais cliniques randomisés au total pour l’ensemble des indications (dont un en chinois jamais traduit) et le plus souvent aux résultats négatifs. L’un des rares essais qui conclut à une certaine efficacité du phloroglucinol (dans l’indication côlon irritable) a comme dernier auteur, un scientifique de la firme qui commercialise le médicament…. Juliette Ferry Danini en profite pour définir le biais de publication et l’intérêt pour les firmes de ne pas publier les études négatives, notion parfois oubliée. Quant à l’indication règles douloureuses, aucun essai randomisé n’a jamais été publié ! Dans ce contexte, l’autrice questionne l’inertie des autorités de santé qui n’ont à ce jour eu comme réponse qu’un déremboursement dans certaines indications. 

Enfin, le livre se veut un essai de philosophie féministe (cela pourrait en effrayer certains, moi la première). On pourrait craindre un livre revendicateur ou victimaire ; il n’en est rien. L’ouvrage questionne très justement et sans crier au scandale la douleur des femmes. Est-elle bien prise en considération ? La prescription abusive de phloroglucinol n’est-elle pas une réponse trop simple et expéditive à des douleurs réelles, parfois invalidantes mais dont les hommes et la médecine se désintéressent volontiers ? Ce sont toutes ces questions que pose la 2e partie du livre pour aboutir à la notion de placebo et de sa prescription en médecine. 

En 1968 le SPASFON est présenté dans le dictionnaire Vidal comme une molécule qui unit pour la première fois l’efficacité à l’innocuité. Il ne « nuit pas » …c’est l’argument avancé encore aujourd’hui par beaucoup (je vous laisse découvrir le Vidal 1968...)

En effet, certains à la question pourquoi le phloroglucinol est-il toujours sur le marché, plusieurs professionnels de santé répondront « parce qu’il a peu d’effet indésirables ». Peu oui... aucun, non assurément ! Gardons-en tête qu’il n’est pas dénué d’effet indésirable parmi lesquels d’exceptionnelles réactions allergiques et des toxidermies rares mais parfois sévères. 

D’aucuns diront que prescrire un placebo** peut être utile. A cette réponse Juliette Ferry-Danini répond catégoriquement par la négative et démontre les risques de prescrire un médicament non efficace et dont la seule efficacité éventuelle repose sur une croyance. Pour l’autrice, la prescription d’un placebo (pur ou impur pour le phloroglucinol) n’est jamais un acte anodin. Elle retarde ou nuit à une prescription optimale, elle fait abstraction du consentement éclairé indispensable en médecine et nuit à la relation de confiance soignant/patient au travers d’un acte mensonger. Quant aux vielles réclames pour le SPASFON qu’elle décrit, mon seul regret est de ne pas les trouver dans le livre pour mieux signifier l’importance du marketing et de la croyance qui entourent la prescription médicale. 

Au total je referme ce livre en m’interrogeant sur tous les « petits cousins » du SPASFON. Ne sont-ils pas un certain nombre ces autres médicaments largement prescrits sans preuve réelle de leur efficacité et qui mériteraient d’être décortiqués de la sorte

 *équipoise clinique ou incertitude au niveau de la communauté scientifique, définie par Freedman B. 

**le terme placebo vient du latin placere (« plaire »)

Le consentement

C'est un film que j’avais initialement prévu de ne pas voir :    le livre était si édifiant que j’imaginais mal comment des images pouva...